Expositions
Un provisoire qui dure : la galerie photo de l’AFP ouvre ses portes aux archives Restos du Cœur, reportage de Véronique Hamel

Après le 80e anniversaire de la Libération de Paris, Véronique Hamel, membre du C.A. de l’AJP, invite à découvrir l’exposition « C’est l’histoire d’un pauvre… » pour le 40e anniversaire des Restos du Coeur à la galerie de l’Agence France-Presse qui expose 40 clichés issus de son patrimoine photographique exceptionnel, des objets et fac-similés de documents d’époque retraçant la France des années 80, ses SDF, ses bidonvilles, ses vies cassées et ses manifestations pour réclamer des emplois.
Article de Véronique Hamel, membre du bureau de l’AJE
De la première photographie prise par l’inventeur Nicéphore Nièpce (1765-1833) à Chalon -sur-Saône le 16 septembre 1824 jusqu’à l’ouverture de la galerie de l’Agence France-Presse aux Restaurants du Coeur à Paris, coup de projecteur sur une histoire qui s’écrit avec la lumière…
Au commencement, l’AFP (Agence Française de Presse, fondée en août 1944) naît à la fin du conflit de la Seconde Guerre mondiale, en pleine Libération de Paris, alors sous le joug nazi. Sa 1ère dépêche, datée du 20 août 1944, s’adresse à tous les journaux de la France Libre. L’Agence France-Presse ouvre sa première galerie de photographies le 12 septembre 2024 marquant le 80e anniversaire de la Libération de Paris. S’ensuit une exposition quarante ans après la création des Restaurants du Coeur retraçant le visage de la France des années 80.
Né à la fin du conflit mondial le 28 octobre 1944 à Paris 14e, le comédien et humoriste Michel Colucci autrement dit Coluche lance son appel du 18 juin 1985 au micro d’Europe 1 situé 26 bis, rue François 1er à Paris 8e lors de son retour à l’antenne avec l’émission « Y’en aura pour tout le monde ». Trois mois plus tard, l’humoriste y déclare en direct : « J’ai une petite idée comme ça. Si des fois y a des marques qui m’entendent (…), si y a des gens qui sont intéressés par sponsorer une cantine gratuite que l’on pourrait commencer par faire à Paris par exemple, puis qu’on étalerait après dans les grandes villes de France, nous on est prêts à aider une entreprise comme ça, un resto qui aurait comme ambition au départ de faire 2.000, 3.000 repas par jour gratuitement. »
Au fil de l’AFP
Une dépêche de l’Agence France-Presse datée du 31 octobre 1985 annonce qu’une opération sera, selon l’humoriste Coluche, un « grand jeu de piste » : rencontre avec la coordinatrice entre les ministères Georgina Dufoix, 200 000 repas gratuits par jour servis voire même à domicile par des bénévoles aux chômeurs en fin de droits et aux plus démunis du 21 décembre au 21 mars pour un montant de près de 250 millions de francs auxquels s’ajoutent tous les frais annexes de transports, de gestion, etc ».
À la sortie de Rennes, Michel, 36 ans, vit dans une cabane de fortune depuis près de 4 ans. Il survit en déchargeant des camions de légumes. Il a réussi à faire de sa cabane une sorte d’igloo, protégé par plusieurs épaisseurs de plastique et un plancher de récupération. Ce mercredi 9 janvier 1985 à midi, Michel a allumé un petit feu de broussailles pour faire chauffer la soupe. À Paris, deux personnes sans-abri et leur chien sont installés par l’Armée du Salut pour la nuit, dans une galerie désaffectée de la station de RER Luxembourg transformée en hébergement d’urgence de 175 lits.
À Ivry-sur-Seine, des ouvriers de l’usine SKF maintenus à distance de leur usine évacuée par la police affrontent les forces de l’ordre pour réinvestir leur lieu de travail le 5 juin 1985.
À Lille, Coluche et le maire de la ville, Pierre Mauroy, sont photographiés le 9 novembre 1985 lors d’une visite au premier Resto du Coeur. L’humoriste déclare : « on peut donner à manger à tout le monde si les pouvoirs publics et les bonnes volontés privées s’associent ».
À Bordeaux, une quinzaine de jours plus tard, Coluche remercie le député-maire, Jacques Chaban-Delmas pour avoir facilité la déclaration d’utilité publique et pour la mise à disposition par la ville d’une salle afin de servir des repas gratuits aux personnes démunies.
À Paris, manifestation de la place de la Bastille à celle de l’Opéra organisée par SOS-Racisme le 7 décembre 1985 : « C’est pas parce qu’ils sont nombreux à avoir tort qu’ils ont raison ! » plaisante Coluche.
Au coeur des restos
À Gennevilliers, la première journée se déroule le 21 décembre 1985. En compagnie de deux bénévoles, Coluche pose devant l’entrée pour l’inauguration de l’un des trois Restos de la région parisienne. D’autres ont été inaugurés à travers la France, le même jour par de nombreuses personnalités.
À Belfort, une dépêche de l’AFP datée du 28 décembre 1985 annonce la sortie d’un disque au profit des Restaurants du Coeur en janvier 1986 avec Goldman, Platini, Montand, Drucker et Coluche, ce dernier étant venu sur place pour lancer le « resto » local avec un accueil dans les restaurants d’entreprises Alstom et Bull devenu un musée. Coluche a ajouté qu’une émission sera proposée par TF1 le 15 janvier 1986. Une centaine de bûches ont été offertes par le président du syndicat des pâtissiers belfortains.
À Paris, le repas de Noël des « isolés » est organisé par le Secours catholique sous un chapiteau, porte de Champerret. Un bénévole apporte un carton de nourriture pour une distribution de vivres lors de l’ouverture d’un Restaurant du Coeur dans le 19e arrondissement, le 14 janvier 1986.
À Cannes, des bénévoles distribuent, depuis un wagon de la SNCF, des sacs de denrées alimentaires, le 29 décembre.
Spectaculaire opération… titre une dépêche de l’AFP à Paris. Julien Clerc remet la recette de son gala d’Amiens, Jean-Paul Belmondo déclare qu’il « serait dommage de ne rien donner », le président de SOS-Racisme Harlem Désir assure que l’idée de Coluche est « le refus de l’indifférence », 600.000 personnes ne mangent pas à leur faim en France et près de 500 Restaurants du Coeur fonctionnent dans tout le pays, Valéry Giscard d’Estaing souligne que « cette excellente initiative répond à deux drames de notre époque, la solitude et la pauvreté », Jean Auroux, ministre des transports, demande à tous les transporteurs qui rentrent à vide de prendre en charge gratuitement des marchandises à destination des Restaurants du Coeur, les hommes politiques conviennent de la nécessité d’un projet de loi sur les possibilités de déduction fiscale pour les dons. Coluche et le maire de Marseille Gaston Deferre insistent sur la nécessité des dons en argent puis présentent à la presse le 18 janvier 1986 une compagne en faveur des Restos du Coeur et plaident pour l’élaboration d’une loi donnant plus de pouvoirs aux associations caritatives. À l’occasion de cette visite, une opération de récupération de denrées alimentaires est organisée sur les parkings de 14 supermarchés de la région.
Dix jours plus tard, l’émission Les Restaurants du Coeur diffusée sur TF1 est animée par Coluche le 26 janvier 1986 qui reçoit en plateau : Eve Ruggieri, Dominique Baudis, Michel Drucker, Michel Rocard…
À Strasbourg, Michel Colucci se rend ensuite au Parlement européen réuni en session le 20 février 1986 pour plaider la cause auprès notamment de Pierre Pflimlin, président du Parlement.
Les Restaurants du Coeur c’est pas une affaire qu’on veut garder. C’est une affaire qu’on veut distribuer à tout le monde. Y’en a marre des associations caritatives jalouses de leurs pauvres », explique Coluche aux journalistes.
Il est reparti en rigolant et en promettant de « refaire des coups du même genre qui font avancer les choses surtout en période électorale » : « j’ai une petite idée pour le chômage. Je ne vous en dis pas plus, mais on verra en 1988, au moment des présidentielles… » conclut-il dans une dépêche de l’AFP. Mais, à Paris 14e, plusieurs centaines de personnes attendent devant son domicile, 11 rue Gazan, le 22 juin 1986 pour lui rendre hommage après son décès, trois jours plus tôt, dans un accident de moto sur la route d’Opio, dans les Alpes-Maritimes.
À Rouen, le 15 avril 1986, Catherine, 24 ans, au chômage, présente son Curriculum Vitae qu’elle a distribué aux passagers de première classe du train Rouen-Paris de 7h45, afin de solliciter un travail auprès des décideurs normands qui se rendent dans la capitale. Jeannette, 62 ans, vit dans une baraque désaffectée et survit en revendant des objets trouvés dans les poubelles, surtout des jouets le 27 mai 1988.
A Boulogne-Billancourt, des ouvriers de la Régie Renault manifestent le 8 août 1986 devant le siège de l’entreprise contre les mesures de licenciement annoncées.
A Toulon, 15 novembre 1986, Yves, 31 ans, propose son rein ou un autre organe, contre un emploi stable.
À Rennes, une visite du Père Noël dont la hotte est remplie de nourriture est offerte aux plus défavorisés pour la deuxième année consécutive, le 23 décembre 1986. Le Crédit Agricole d’Ile-et-Vilaine offre le 5 février 1987 plus de 80 000 litres de lait achetés directement à des petits producteurs en difficulté.
À Paris une tente a été dressée rue d’Aubervilliers dans le 19e arrondissement, quelque 2 000 repas doivent y être distribués le 14 janvier 1987. Et à La Villette, des jeunes participent aussi à la « Maxiboum du Coeur » le 31 janvier 1987. À Belleville, un homme recherche de la nourriture parmi les cageots vides du marché, le 30 juin 1987, après le départ des commerçants.
Pour la deuxième année consécutive, dans 40 villes de France, les moins de 20 ans viennent avec 40 francs en poche (l’équivalent de 10 repas) perçus directement par les responsables locaux de l’association à l’entrée des salles.
À Toulouse, le chanteur Daniel Guichard, Véronique Colucci et Guy Bedos participent à une distribution de nourriture lors d’une ouverture d’un Restaurant du Coeur, le 21 décembre 1987.
À Garges-lès-Gonesse dans le Val d’Oise, Claude, la trentaine, a trouvé refuge avec sa femme et ses deux enfants dans une baraque. En France, 2,5 millions de personnes ne disposent pas de ressources suffisantes pour vivre. 300,000 à 400,000 foyers démunis vivent sans eau ni électricité dans des cabanons, des caravanes ou sous des tentes. « Je n’ai pas de machine à laver, je chauffe très peu, j’ai arrêté d’utiliser le micro-onde, ça consomme trop » déplore Salima âgée de 63 ans. « Les Restos permettent d’assurer les couches, le lait, et de quoi manger » ajoute Edwige, 44 ans photographiée avec sa fille.
« À l’AFP, une photo, c’est une information. Mais dans cette information qui devient une archive, nous allons chercher la part photographique : les regards, les cadrages, les lumières commente Christophe Calais, commissaire de l’exposition. Sur la précarité, ce qui frappe immédiatement, c’est la frontalité des regards des gens qui sont photographiés. Les visages de la pauvreté sont finalement toujours les mêmes à travers le temps. Peut-être qu’aujourd’hui c’est plus difficile de capter les regards des gens. Dans les années 80, ces précaires, ces nouveaux pauvres regardent face caméra avec beaucoup de dignité. »
Bande d’Enfoirés
S’exposent aussi le manuscrit de La chanson des Restos rédigé par Jean-Jacques Goldman en janvier 1986, un road book de la première Tournée d’Enfoirés avec une série de sept concerts au profit des Restos du Coeur du 6 au 14 septembre 1989 au PALAIS des SPORTS à Lyon, au STADIUM à Vitrolles, au ZENITH à Montpellier, à la PATINOIRE de MERIADECK à Bordeaux, au PALAIS des SPORTS à Toulouse, au ZENITH à Paris et enfin à l’ESPACE FOIRE à Lille sans oublier le badge All access de la tournée permettant de circuler librement dans les coulisses, le billet pour la date parisienne de la Tournée d’Enfoirés, le 13 novembre 1989 d’un concert qui sera partiellement diffusé sur Antenne 2, le 23 décembre 1989 ainsi que l’album 33 tours sorti le 25 janvier 1990.
« Qu’est-ce que j’ai fait avec les Restaurants du Coeur ? interroge Coluche. Eh bien, d’abord, il faut dire que j’ai utilisé les médias. J’étais sur Europe 1, j’avais une émission populaire qui me permettait de lancer une idée, et j’ai lancé cette idée. Après ça, quand j’en ai parlé pendant 2 mois, je suis allé voir les dirigeants d’Europe 1, et je leur ai dit : maintenant, ça va pas être facile de faire marche arrière, parce qu’on reçoit un courrier énorme. Et ils ont dit : bon, d’accord, on va faire une tournée.
Après ça, j’ai commencé à dire, qu’il n’y avait qu’à taper dans les excédents de production parce que ça nous permettrait d’avoir la nourriture pas cher, et donc de nourrir tout le monde. Après, je suis allé au ministère de l’Agriculture, et je leur ai dit : voilà ce que j’ai fait, maintenant, il faudrait… »
Si 5.000 bénévoles ont distribué 8,5 millions de repas en 1985, ils sont 15 fois plus nombreux en 2023/2024 à en offrir 20 fois plus…
Aujourd’hui, l’AFP est présente dans plus de 150 pays avec 1 700 journalistes et plus de 450 photographes à travers le monde. Son fonds d’archives photographiques compte près de 20 millions de documents, dont 6 millions de documents argentiques (notamment 350 000 plaques de verre) remontant pour les plus anciens aux premières années de la photographie.
Après Paris d’autres grandes villes de France accueilleront l’exposition, chacune important dans l’histoire des Restos du Coeur.
reportage de Véronique Hamel, plus d’informations à ce lien
——————————————-
22 juin 2018 : « Mesurer la taille du monde » à Paris et Guyancourt, par Thibault Lescuyer, membre de l’AJE
Le théâtre du Grain, le laboratoire scientifique CEARC et le réseau Marine Sciences for Society développent depuis 2012 des expérimentations et des créations hybrides entre arts et sciences de l’environnement, pour enrichir notre regard sur le monde et nos capacités d’agir. Inauguration de l’exposition photo « Ils remontent le temps » et double rencontre :
– Vendredi 22 juin 2018 à 12h15, à Guyancourt : conférence avec Jean-Paul Vanderlinden, directeur du CEARC et professeur en économie écologique, Juan Baztan, chercheur et coordinateur du réseau Marine Sciences for Society et Lionel Jaffrès, artiste et metteur en scène.
Adresse : Observatoire de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (OVSQ), 11 bd d’Alembert, 78280 Guyancourt. Amphithéâtre Gérard Mégie.
– Vendredi 22 juin 2018 à 9h00, à Paris : petit-déjeuner de presse avec les chercheurs et artistes de Mesurer la taille du Monde pour présenter ce projet de recherche et les expérimentations arts sciences et politique conduites à l’OVSQ et au théâtre du Grain.
Adresse : Maison de la Bretagne, 8 Rue de l’Arrivée, 75015 Paris.
——————————————-